WINTZENHEIM . JAZ

La construction de l'usine en 1920

(collection Simone Jaeger née Freyburger, photo Guy Frank 14 septembre 2010)

Jusqu'en 1975, Wintzenheim comptait, dans la nomenclature de ses voies une "Rue de la Soierie", rebaptisée Rue René Schmitt le 25 janvier 1975, à l'occasion du 30ème anniversaire de la Libération de Wintzenheim.

L'ancien Neugesetzenweg avait été ainsi nommé en l'honneur du tissage qui s'est implanté après la Première Guerre Mondiale le long de la route de Colmar, à l'entrée Est de la commune. C'est le Conseil Municipal de Wintzenheim, dans le point 8 de sa séance du 7 août 1930, qui décida de nommer "Rue des Soieries" le chemin situé à l'arrière de l'usine. A cette époque, l'entreprise atteignait son apogée avec près de 300 salariés.

Les bâtiments furent construits en 1920 par la société lyonnaise Coudurier, Fructus & Descher (CFD), qui décida, après la victoire de 1918, de créer la Société Lyon-Alsace pour venir s'installer en Alsace par "patriotisme économique". Il s'agissait de l'une des premières usines textiles dans la région construite de plain-pied, sans étages.
Source : Robert Guidat (entretien avec Guy Frank le 16 mai 2002)

 Les tissages de soieries Coudurier, Fructus & Descher

Le Démocrate du Haut-Rhin du jeudi 18 mars 1920

Wintzenheim : Zur Zeit werden hier von einer Gesellschaft die Ländereien hinter der Kiesgrube zu schönen Preisen angekauft. Man spricht davon, daß beabsichtigt ist, daselbst eine Seidenfabrik zu bauen. An Arbeitskräften, die im Seidenspinnen und -Weben geschult sind, fehlt es hier nicht.

Traductions

Wintzenheim : Actuellement, une société achète à bons prix les terrains situés derrière la gravière. Nous croyons savoir qu'une usine de soierie doit se construire à cet emplacement. On ne manque pas, dans la région, de main-d'œuvre compétente dans la filature et le tissage de la soie.

Elsässer Kurier du mardi 25 mai 1920

Wintzenheim, 22 mai : Fabrikbau. Die Gesellschaft Lyon-Alsace hat durch ihren Verwalter Emil Langjahr auf dem am Eingang zu unserer Gemeinde erworbenen Grundstück den Bau einer Seidenweberei in Angriff nehmen lassen. Die Bauarbeiten sind der Firma Schroth und Killy übertragen worden. Dieselben werden mit der größten Eile ausgeführt werden, damit das Gebäude bis zum Beginn des Winters unter Dach sei und mit der Aufstellung der Maschinen und Webstühle noch in diesem Jahr begonnen werden kann. Die neue Fabrik wird einer großen Anzahl von Arbeitern und Arbeiterinnen des Landes Verdienstmöglichkeit bieten.

Wintzenheim, 22 mai : Construction d'une usine. La Société Lyon-Alsace a, par l'intermédiaire de son fondé de pouvoir Émile Langjahr, démarré le chantier d'un tissage de soieries sur le terrain précédemment acquis à l'entrée de notre commune. Les travaux ont été confiés à l'entreprise Schroth et Killy et sont accélérés afin que le bâtiment soit hors d'eau avant l'hiver, en vue d'installer machines et métiers à tisser dès cette année. La nouvelle usine fournira un emploi à de nombreux ouvriers et ouvrières de la région.

Le Démocrate du Haut-Rhin du mardi 25 mai 1920

Wintzenheim, 21 mai : Mit dem Neubau der geplanten Seidenweberei wurde im Laufe dieser Woche begonnen. Das Terrain gegenüber der Stiermatte ist ganz in der Unternehmer-Gesellschaft übergegangen, da, sämtliche Besitzer gerne gegen 2 Frs. pro a ihr Eigentum abtraten. Der Boden ist nämlich weniger rentabel und wurde immer hier nur gering bewertet. Auch die Gemeinde hat ihren Besitztum, wie Kiesgrube, Spitalacker und Schuttraum der Gesellschaft verkauft. Bereits steht auf dem Bauplatz eine (Scheune ?), die zur Aufbewahrung der Geräte dienen soll und machen sich die früheren Eigentümer, eiligst daran, die Rebpfähle sowie das Grünfutter, das ihnen laut Vertrag gehört, heimzuschaffen. Wie verlautet, soll mit der größten Schnelligkeit gebaut werden, damit noch im Laufe dieses Jahres der Betrieb eröffnet werden kann. An Arbeitskräften fehlt es hier nicht. Auch die Gießerei Haren Frères konnte ihren Betrieb vergrößern, was eben vollendete Neuanlagen beweisen. Unsere Gemeinde scheint einen schönen Aufschwung zu nehmen und zu einem größeren Industrieort auszudehnen. Häuser, sowie Güter, die zu Versteigerungen kommen, finden deshalf stets zu hohen Preisen Abnehmer. Auch unserem viel verschmähten Bähnle scheint, seit es in Staatsbetrieb übergegangen ist, eine bessere Zukunft bevorzustehen. Wenigstens wurden die alten lodrigen und schmutzigen Waggons schon durch bessere ersetzt und geht ihm auch nicht, wie früher, bei jeder Gelegenheit der Atem aus.

Wintzenheim, 21 mai : La mise en chantier du tissage de soieries annoncé a eu lieu au courant de cette semaine. Le terrain en face de la Stiermatt est désormais intégralement propriété de la société industrielle, étant donné que tous les titulaires ont volontiers cédé leur bien à 2 Frs l'are. Le sol est en effet peu rentable à cet endroit et n'a jamais eu beaucoup de valeur. La commune également a vendu ses biens à la société, à savoir la gravière, le champ de l'hôpital et le dépotoir. Dès à présent, un hangar a été édifié sur le terrain, aux fins d'abriter le matériel de chantier. Les anciens propriétaires se hâtent de récupérer les échalas et l'herbe, comme le contrat le leur permet. Selon nos informations, les travaux vont être menés bon train, afin que la production puisse démarrer encore cette année. La main-d'œuvre potentielle existe sur place. Quant à la fonderie Haren Frères, elle a également pu augmenter ses capacités, comme le prouvent des constructions réalisées de fraîche date. Notre commune paraît prendre un bon élan et vouloir se développer en pôle industriel. Les immeubles et les terrains mis aux enchères trouvent de ce fait toujours des amateurs à prix fort. Même notre petit train, souvent ridiculisé, semble avoir trouvé un nouveau souffle depuis qu'il a été pris en charge par l'État. Pour le moins, les anciens wagons, déglingués et sales, ont été remplacés par des plus modernes, et désormais, il ne s'essouffle plus à tout bout de champ comme jadis.

(traductions Robert Guidat, Sélestat)

M. LANGJAHR de Munster, avait quitté Herzog à Logelbach pour s'occuper de la construction (par l'entreprise Schroth et Killy de Sélestat) et de l'installation des tissages de soieries CFD à Wintzenheim. Le bâtiment était constitué de 9 sheeds de 6,50 mètres. La salle de tissage au nord du bâtiment faisait 1952 m2 (71,15 m x 24,44 m), comportait 33 piliers et 7 rangées de 24 métiers, soit 168 métiers. Le bloc sanitaire des ouvriers (18,14 m x 2,65 m) situé à l'ouest du bâtiment, comprenait 8 lavabos, 2 miroirs, 2 rangées d'urinoirs, 4 wc hommes et 6 wc femmes.

Plan de la façade principale

Plan de l'entrée principale, des bureaux, des vestiaires

Coupe transversale de l'usine

Les plans sont datés du 1er juillet 1920,
et signés par Émile Langjahr pour la Société Lyon-Alsace,
et les architectes-entrepreneurs Schroth & Killy de Sélestat.

Pour les ateliers, les machines étaient, entre-autres, originaires de :
- Gebrüder Benninger, Uzwyl St-Gallen, Schweiz
- A.Hohlbaum & Co
- John M.Sumner & Co, Manchester

Voici la liste des 16 premiers salariés, hors administration, embauchés en 1921, d'après le livre de paie du 16 avril :

Contre-maîtres :
- MULLER Joseph
- MULLER Sébastien
Aide-gareurs :
- GAECHTER Joseph
- REY Charles
- JOST Joseph

Atelier de réparation :
- FINANCE Charles fils
- STRAUB François
Chauffeurs :
- ZIND Joseph
- FINANCE Charles père

Manœuvres :
- BOURGUIGNON Frédéric
- JOERG Frédéric
- ZIND Xavier
- LELE Joseph
- WIRKEL Albert
- SINGER Albert
- CLOR Alphonse

*

Joseph ZIND né en 1888 (père de Jean-Paul, horticulteur) avait été embauché comme chauffeur car il parlait le français grâce à un séjour d'une dizaine d'années à Paris, où il avait également passé son permis de conduire en décembre 1918, après l'Armistice (certificat de capacité pour la conduite de voitures à pétrole).

Permis de conduire de Joseph Zind (collection Jean-Paul Zind)

Les 3 premières ouvrières apparurent en mai. Il s'agissait de :
- BAUMANN Stéphanie (ourdissage)
- FINANCE Louise (ourdissage).

Voici l'évolution des effectifs au cours des premiers mois :

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Effectif vers le 15 du mois

1921
avril

1921
mai

1921
juin

1921
juillet

1921
août

1921
sept.

1921
oct.

1921
nov.

1921
déc.

1922
janv.

1923
janv.

Contre-maîtres

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2 3

Aides-gareurs

3

4

4

5

6

6

6

7

6

6 5

Atelier de réparation

2

2

2

2 4

5

6

6

6

6 7

Chauffeurs

2

2

2

2

2

2

2

2

2

2 2

Manœuvres

7

9

9

8

4

3

3

3

3

4 4

Divers

-

-

-

-

-

-

-

-

3

3 6

Dévidage

-

1

6

10

14

14

14

15

14

14 25

Ourdissage

-

2

5

8

8

9

9

11

14

18 17

Rentrage

-

-

2

4

6

6

6

6

5

5 8

Cannetage

-

-

1

2

2

2

2

2

3

5 15

Tissage

-

-

2

6

20

21

22

30

35

42 70
Pliage -

-

-

- 1 1 1 1 - - -
Apprenties - - 1 - - - - - 2 - -

Total

16

22

36

49

69

71

73

85

95

107 161

En janvier 1922, l'effectif de production passa à 107 personnes, puis à 161 en janvier 1923. Certaines ouvrières, comme Mélanie SCHAFFAR, quittèrent en 1923 les ateliers (s'Fawrikla) que Haussmann exploitait rue du Galz à Wintzenheim, derrière la maison Andrès, pour venir travailler chez CFD. Mélanie y restera jusqu'en septembre 1936. L'effectif maximum fut atteint en mai 1928, avec 305 personnes.

Ces photos portant la mention "Tissage de soieries Schur" (?)
évoquent à s'y méprendre l'usine Coudurier, Fructus & Descher de Wintzenheim

Lorsqu'il prit sa retraite fin 1924, M. LANGJAHR fut remplacé par Marcel GUIDAT, dont se souviennent tous les anciens de "Fructus". Puis en 1936, lorsque CFD décida de réduire l'activité de son usine de Wintzenheim, la direction fut confiée à M. JUVENET, venu de Lyon.

Évolution de l'effectif de 1924 à 1939

Effectif au 1er janv.

1924

1925

1926

1927

1928

1929

1930

1931

1932

1933

1934

1935

1936

1937

1938

1939

Magasin 5 5 10 11 6 4 4 6 5 - 5 5 5 - - -

Gareurs-ouvriers

17

24

21

22

25

24

26

29

22

-

19

16

14

2

3

3

Dévidage

25

37

34

34

29

16

18

10

10

-

9

9

7

-

-

-

Moulinage - - - - 63 61 62 67 61 - 55 47 27 - - -
Préparation 52 65 64 61 60 72 59 52 50 - 49 39 38 10 15 16

Tissage

80

99

91

99

85

85

87

76

64

-

56

39

43

18

25

21

Velours - - - - 21 27 21 6 12 - 7 8 4 - - -
Pincetage - - - - 7 7 11 7 4 - - - - - - -

Total

179

230

220

227

296

296

288

253

228

?

200

163

138

30

43

40

Comme dans toutes les entreprises, l'année 1936 fut marquée par les grandes grèves du Front Populaire. Un tournant dans l'histoire sociale de la France. Les travailleurs obtiennent une amélioration notable de leur condition : augmentation des salaires, semaine de quarante heures, congés payés. C'est ainsi qu'au mois d'août 1936, 26 ouvrières de l'usine CFD bénéficient de leurs premiers congés payés. Mais les belles années étaient passées. De 132 en juin 1936, l'effectif tomba à 116 en juillet, 81 en août, 56 en septembre, pour se stabiliser à une trentaine à partir du mois d'octobre, avant de remonter légèrement à partir de février 1937.

L'usine vers 1925 (Éditeur J. Kuntz, Soultz-Guebwiller, collection Guy Frank)
Entre la route de Colmar qui n'était pas bien large, et l'usine, circulait encore sur la ligne Colmar-Wintzenheim
le train à vapeur qui ne fut remplacé par le tram électrique qu'en 1935.

Albert KLEIM, né à Wintzenheim le 24 mars 1908, est décédé le 7 juin 1972 (Photo René, collection Marie-Antoinette Kaennel)

La production cessa le 1er janvier 1939. Albert KLEIM, entré comme comptable en 1936, fut nommé directeur et chargé de la liquidation, avec l'aide de Joseph GAECHTER, chef d'atelier et Louise HIRLEMANN, employée de bureau. La dernière ouvrière, Louise SCHWARTZ, fut licenciée le 11 mai 1939. Le 17 mai, l'entreprise écrit à la Corporation textile et des industries chimiques d'Alsace et de Lorraine pour signaler les travaux "de démontage et d'expédition des différentes machines" à Lyon, qui se poursuivront jusqu'au 24 août 1939, jour de la mobilisation. A son départ, Albert KLEIM emporta tous les livres de paie de l'usine, de 1921 à 1939, soit 10 gros registres qu'il a ainsi sauvés d'une destruction certaine. Ils contiennent, quinzaine après quinzaine, et par ateliers, la liste nominative de tous les salariés, avec les heures travaillées, les salaires perçus, et les retenues (amendes, caisse de malades, caisse d'invalidité).



Une entreprise mécène


L'un des 16 vitraux de l'église Saint-Laurent de Wintzenheim comporte, dans le bas à gauche, la mention :

EX DONO

COUDURIER, FRUCTUS-DESCHER

TISSAGE DE SOIERIES

La société CFD avait en effet participé, comme d'autres entreprises et quelques généreux donateurs, au financement de ces magnifiques vitraux réalisés en 1927 par les ateliers Ott Frères de Strasbourg. Le vitrail "sponsorisé" par CFD fut restauré en 1954.

(photo Yannick Frank, 17 juin 2002)

 

Le Livre de Caisse couvrant la période de janvier 1932 à juillet 1937 fait mention de divers dons destinés à des oeuvres de bienfaisance, comme par exemple en décembre 1935 et 1936, 150 Frs pour la crèche Langweil, 100 Frs pour les pauvres de Wintzenheim, et 100 Frs pour les oeuvres paroissiales.


Après la guerre : le Tissage de Wintzenheim


Après la guerre, cette usine fut vendue par la Société Nouvelle CFD à la " Société Anonyme Immobilière LYON-ALSACE ", dont le siège se trouvait à Paris, 9 rue Boissy d'Anglas.

A partir du 1er avril 1947, cette SAI a loué environ un tiers de la propriété à la Sàrl Tissage de Wintzenheim, inscrite au Registre du Commerce de Colmar le 5 mars 1947 sous le numéro n° 376 (folio 1219), au capital de 300.000 Frs, avec les associés-gérants :
- Louis GIRON (né le 31.05.1901), domicilié 6 place Badouillère à Saint-Étienne
- Jacques GIRON (né le 01.01.1906), domicilié 28 rue d'Arcole à Saint-Étienne
- Marc GIRON (né le 05.02.1908), domicilié 3 rue Rouget de l'Isle à Saint-Étienne
- Etienne GIRON (né le 22.04.1911), domicilié 58 rue du 11 Novembre à Saint-Étienne.
Activité déclarée au RC : fabrication à façon de tissus de soie et de tous autres genres de tissus. Le directeur en est M. Marcel GUIDAT, qui était déjà directeur technique de l'usine avant les hostilités.

Une autre partie du site a été louée à la Société CONTORITEX (Comptoir Haut-Rhinois des Textiles) et aux propriétaires de l'Hôtel des Trois-Epis et de l'Hôtel National de Colmar, qui y ont placé, pendant la reconstruction, une partie du mobilier des hôtels endommagés à l'époque des combats de la Libération.

En 1950, le Tissage de Wintzenheim occupait environ 1700 m2 de surface bâtie, dans lesquels étaient installés 67 métiers à tisser le velours, 1 ourdissoir et 3 cannetières, et produisait 2500 kg de velours à rayonne, tissé à façon et envoyé à Saint-Étienne (Loire) pour y subir la teinture et l'impression. La presque totalité de la production était destinée à l'exportation. 34 ouvriers dont 27 femmes, 1 contremaître et 1 employée y travaillaient à ce moment-là, et étaient tous domiciliés à Wintzenheim.

Le Tissage de Wintzenheim a cessé son activité le 31 mai 1952. En octobre 1953, les bâtiments seront repris par la société JAZ (SAP), et connaîtront un nouvel essor.

Source : Archives Départementales du Haut-Rhin


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