WINTZENHEIM. JAZ

Témoignage inédit de M. André Voirin


02.06.2000 - Lettre de Guy Frank à M. André Voirin


Cher Monsieur VOIRIN,

D'abord, je voudrais vous remercier pour votre appel du 11 mai; qui m'a fait très plaisir. C'est toujours encourageant de constater qu'un travail de recherche, totalement bénévole, sur une entreprise disparue intéresse encore quelques "anciens". C'était l'objectif de ce premier fascicule, également disponible sur mon site Internet, où votre fils l'a découvert. Ces textes viennent d'ailleurs d'être publiés dans l'Annuaire de la Société d'Histoire de Wintzenheim, édition 2000.

La deuxième partie de mon travail s'oriente plutôt vers des présentations d'hommes (et de femmes) qui ont marqué la vie de cette entreprise, et qui peuvent apporter des témoignages, souvent inédits, sur des aspects moins connus, et donc plus intéressants de la vie de la SAP et de JAZ. C'est votre cas. Et comme vous me l'avez gentiment proposé, j'aimerais avoir des précisions sur trois points, entre autres :

- une courte présentation de vous-même (même si votre modestie doit en souffrir), et notamment sur votre formation et les étapes de votre carrière dans l'entreprise. où vous êtes entré, je crois, en 1963.

- une note plus complète sur votre mission qui a consisté à informatiser la production. Vous êtes probablement le seul à pouvoir apporter des informations intéressantes sur ce point que vous avez évoqué au téléphone.

- j'ai aussi noté votre version inédite de la "renommée d'usine dynamique" de JAZ, qui sortait un nouveau modèle par semaine, dans le but essentiel, et non avoué, de contourner le blocage des prix auquel étaient soumis les réveils. Cette anecdote mérite qu'on la développe. Pouvez-vous m'en dire un peu plus ?

Bien entendu, je n'ai aucune exigence sur la longueur ou le délai de votre réponse. Mais j'espère que vous pourrez m'en apprendre un maximum. De nombreux anciens cadres m'ont assuré de leur soutien, et j'aurai plaisir, un jour, à rapporter leur témoignages. L'important, c'est qu'il reste un jour une mémoire du passé de cette usine.

Guy FRANK


Réponse de M. Voirin sous forme de cassette audio enregistrée


Guy Frank, si vous avez cet enregistrement, c'est grâce à la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Aubenas qui m'a prêté très volontiers une salle d'enregistrement pour pouvoir répondre à vos questions. Ceci dit, j'ai bien reçu votre lettre et je vais essayer de répondre à vos questions.

Mon parcours professionnel

Il est évident qu'en ce qui concerne mon curriculum vitae, il est tout à fait classique. J'ai passé mon certificat d'études parce qu'à l'époque il y en avait un, ensuite un brevet élémentaire parce que ça se passait aussi comme ça, le premier BAC moderne, le deuxième BAC mathélem. J'aurais bien voulu après ça aller en faculté, mais ma mère avait été ruinée pendant la guerre, et comme j'ai été boursier interne dans un lycée, j'ai continué à être interne dans un lycée. Par conséquent, j'ai fait Maths Sup et Maths Spé, c'est-à-dire la préparation aux Grandes Écoles. J'ai intégré une école qui s'appelait l'IDN à l'époque (Industrielle du Nord) qui est devenue depuis l'École Centrale de Lille. Donc rien de spécial à signaler.

Ma première entreprise, ça a été la Royale Asturienne des Mines qui m'a envoyé au Maroc dans une mine de plomb argentifère. C'était, il se trouve comme par hasard, l'année de l'Indépendance du Maroc. Quand je suis arrivé là, et comme j'étais célibataire, on m'a mis dans une grande maison et on m'a expliqué que dans la cave il y avait 150 fusils de guerre, 1500 cartouches et un poste émetteur au cas où nous serions attaqués par l'armée de libération marocaine, ce qui, je dois le dire, était une entrée en matière tout à fait curieuse.

Il se trouve effectivement qu'environ 7 mois après, j'ai déménagé parce que je me suis occupé essentiellement du service achat de différentes pièces détachées et on a nommé un contremaître à ma place qui, le pauvre, 15 jours après, a effectivement été tué par l'armée de libération. Les fusils, les munitions et le poste émetteur ont disparu. Bien entendu, après cet épisode, j'ai quitté cette mine de plomb et je suis rentré en France.

A l'époque, on trouvait facilement du travail. J'ai simplement pris les annonces qui étaient dans les journaux et j'ai atterri à la Colgate Palmolive qui était à Courbevoie. Mon titre officiel était "Finishing Supervisor". En fait, j'étais le chef du service séchoir-conditionnement-parfums-cartonnages, soit 300 personnes environ à 90% de femmes. Il est évident que la savonnerie, faire du savon de toilette, c'est essentiellement une industrie para-chimique. Et comme moi j'étais ingénieur mécanicien, j'avais ramassé tout ce qui n'était pas chimique, et à 35 ans, je me suis trouvé pratiquement au bout de mes possibilités dans cette entreprise puisque je n'étais pas chimiste.

Entre temps, comme je voulais changer de situation, j'ai fait l'Ecole des Chefs d'Entreprises, où il y avait pratiquement des conférences et des cours du soir presque tous les jours. Et j'ai réussi cette école avec un beau succès. Ce qui m'a permis de prétendre à ce moment là à autre chose qu'un poste purement technique, et j'ai trouvé une annonce qui demandait un adjoint de directeur d'usine pour gérer la production. Je me suis présenté. Il s'agissait effectivement de l'usine S.A.P. à Wintzenheim. Je vous dis tout de suite que pendant 20 ans, j'ai travaillé chez JAZ, d'abord comme responsable de production, puis comme directeur-adjoint, et enfin comme directeur.

L'écroulement de l'horlogerie vers les années 1980 a conduit à des diversifications pour occuper le personnel, telles que fabrication de fourreaux de fusils de guerre, fabrication d'ordinateurs de la marque TANDY. J'ai été très impliqué dans ces nouvelles activités, ainsi d'ailleurs que Michel Klopfer de Wintzenheim. A l'âge de 55 ans, persuadé du naufrage final, j'ai pris ma pré-retraite.

L'informatisation

En arrivant chez JAZ, au siège social, il m'est apparu très vite que l'usine de Wintzenheim était dans le collimateur : non-respect des programmes, mauvaise sortie des nouveaux modèles, etc… En arrivant à l'usine, il m'apparut également très vite que c'était l'ordonnancement qui était visé. En fait, la gestion de la production était désastreuse. Les ateliers n'obéissaient pas aux impératifs de quantités et de délais. Par exemple, le décolletage faisait des quantités largement supérieures aux besoins exprimés, quitte à forcer la serrure du magasin matières pour ce faire, et ceci afin d'augmenter la prime de l'atelier. Le résultat était que les magasins avaient trop de pièces inutiles, et pas assez de matières pour faire les pièces nécessaires. Apparemment, quand je suis arrivé, cela ne semblait choquer personne.

Avant toute chose, j'ai donc passé du temps dans les services du siège social, et bien sûr, j'y ai trouvé de graves lacunes. Il y avait à Wintzenheim un bouc émissaire, et c'était bien pratique. Tout ceci ayant été explicité, a eu pour conséquence de calmer le jeu. Cependant, il est apparu que la réaction de l'ordonnancement devait être plus rapide et plus précise. J'ai donc proposé à la direction de Paris l'informatisation de l'usine en utilisant le matériel du siège social. Je fus fermement soutenu par le directeur financier, alors que les services techniques trouvaient l'idée farfelue. J'ai d'ailleurs eu, pendant un certain temps, le surnom de "Monsieur l'Ordinateur".

Quoi qu'il en soit, après plusieurs années, car il a fallu créer les logiciels alors que maintenant il suffit de les acheter, l'usine était opérationnelle, et la gestion de la production était d'un niveau comparable à ce que l'on trouve aujourd'hui avec des logiciels standards, c'est-à-dire très en avance pour l'époque. M. Mosbach d'Ingersheim est responsable, en grande partie, de la qualité de cette évolution.

Un modèle par semaine

Il faut bien préciser que la création d'un nouveau modèle par semaine était avant tout une nécessité commerciale, afin de forcer la main à l'horloger, car le représentant avait toujours du nouveau à présenter, ce qui facilitait l'entrée en matière. Il se trouve également que cela permettait de rester à peu près dans l'axe de l'inflation, alors que l'horlogerie était dans la liste des produits à prix bloqués. Il faut noter cependant que nous avons eu quelques modèles dont le succès ne s'est pas démenti pendant de nombreuses années, et bien sûr nos services commerciaux faisaient auprès du Contrôle des Prix les démarches nécessaires pour obtenir un assouplissement.

Quand l'usine de Nanterre a été démantelée, le service création de nouveaux modèles est venu également à la SAP de Wintzenheim, et était tenu par deux jeunes gens qui avaient d'ailleurs un très bon talent de peintres, puisque j'ai acheté à l'un un tableau qui figure toujours dans mon salon.

André VOIRIN, Juin 2000

Je vous joins 3 photos : 

JAZ

La 1ère présente l'atelier de montage en pleine activité, environ 300 personnes.

JAZ

La 2ème montre l'équipe de fabrication de l'ordinateur dans un atelier vide, ce qui est bien triste.

JAZ

La 3ème présente une époque à laquelle les Japonais venaient prendre des leçons de fabrication d'horlogerie.
Je suis la personne de gauche, et M. Carpano est la personne de droite. Au centre, M. Sato de Tokyo-Clock (Japon).


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